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Les modifications territoriales dans la Grande Région du Congrès de Vienne à aujourd’hui (1815-2006)

 

Claude Back

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La Grande Région, qui se compose de différents pays, est passée par de nombreux bouleversements territoriaux avant de connaître sa forme actuelle. La présente étude a pour objet de présenter l’histoire de cet espace transfrontalier sur la base des changements opérés sur ses frontières au cours de ces deux derniers siècles.

Le point de départ de l’étude correspond à la tenue du Congrès de Vienne qui visait une réorganisation de l’Europe. La période examinée se termine, à titre temporaire, en 2006, année au cours de laquelle la Grande Région a connu une modification territoriale pour la dernière fois.

Le Congrès de Vienne sonna définitivement le glas de l’époque des petites propriétés territoriales du 18e siècle et conduisit à la formation d’Etats organisés en entités cohérentes.


Carte : Frontières de 1815 jusqu'à aujourd'hui

Carte : Frontières de 1815 jusqu'à aujourd'hui

Claude Back, Luxembourg

Depuis, la Grande Région a connu bon nombre de bouleversements territoriaux de grande envergure. Cette réalité nous amène à nous interroger sur la nature de ces modifications et sur les raisons pour lesquelles la Grande Région a connu ces transformations.

Ces modifications opérées sur les frontières et les territoires sont de divers ordres : on assista d'une part à un remaniement profond de la carte des frontières régionales et, d’autre part, à des modifications territoriales sur de minuscules parcelles de quelques mètres carrés.

Par ailleurs, les modifications de frontières auxquelles s’intéresse la présente analyse ont des origines diverses. Elles sont le fruit des guerres, des traités de paix, mais également des échanges de minuscules territoires convenus avec les parties contractantes. Les guerres, les paix, les révolutions et les planifications rationnelles sont donc tout autant d’évènements qui ont conduit à de telles transformations.

Acte final du Congrès de Vienne, signé le 9 juin 1815
Source : G. Großkurth 

La première date de référence est celle du Congrès de Vienne qui a conduit à une réorganisation des territoires de l'actuelle Grande Région. Les nouvelles frontières définies par ce Congrès sont décrites ci-après. Presque simultanément, les contours de la France furent redessinés par le deuxième Traité de Paris.

Sont également présentées les modifications territoriales résultant du Congrès de Vienne, avec une attention particulière accordée aux divers Traités conclus entre la Prusse et les Pays-Bas.

Il s’agit dans ce contexte du Traité d’Aix-La-Chapelle, du Traité de Clèves ainsi que du Protocole d’Emmerich.   

Le Congrès de Vienne et les accords qui suivirent entraînèrent des modifications profondes dans la zone du Rhin occidental. Mentionnons dans ce contexte la Prusse rhénane, la Bavière rhénane, Nassau et la Hesse rhénane.

De petites entités firent également leur apparition dans la Grande Région, parmi lesquelles la région de Meisenheim pour la Hesse-Homburg, la principauté de Lichtenberg et la principauté de Birkenfeld.

Le Traité de Courtrai délimita la frontière entre le territoire du Roi des Pays-Bas et la France. La frontière méridionale du Grand-Duché de Luxembourg fut également définie à cette occasion. Dès 1818, le Grand-Duché de Luxembourg subit une modification majeure de sa frontière occidentale.

La révolution belge entraîna de profonds bouleversements qui conduisirent à la création d'un nouvel Etat. Les conséquences de cette révolution affecteront également le Grand-Duché de Luxembourg.

Le Traité de Londres de 1839 apporta une solution définitive à la situation régnant entre le nouvel Etat belge, le Roi des Pays-Bas et le Grand-Duc de Luxembourg. La frontière entre le Royaume de Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg fut établie dans le cadre du Traité de limites de Maastricht signé le 7 août 1843.

Au cours des années 1860, l'actuelle Grande Région fut le théâtre de nombreux conflits et le centre de convoitises territoriales. La guerre austro-prussienne de 1866 fut l’un des temps forts de cette époque, avec comme conséquence l'annexion du Duché de Nassau par la Prusse. Le territoire de Meisenheim, qui avait été peu auparavant remis à la Hesse-Darmstadt par la Hesse-Homburg, tomba aux mains des Prussiens.
Scène des Jours de septembre de 1830, peinture de G. Wappers, 1835
Musées royaux d'art et d'histoire, Brüssel

La "Crise du Luxembourg" faillit provoquer une guerre en 1867 entre la Prusse et la France. Le Traité de Londres de 1867 établit la neutralité et l’indépendance du Luxembourg.

Une guerre finit toutefois par éclater en 1870 entre la Prusse et la France, laquelle fut confrontée à l'ensemble des royaumes allemands réunis.

Au terme de la guerre franco-allemande, le nouvel Empire allemand s’agrandit vers l’ouest aux dépens de la France. Celle-ci dut en effet céder à l’Empire allemand l’Alsace ainis que la moitié de la Lorraine. Au cours des négociations de paix, d'autres petites modifications furent portées au tracé de la frontière.

La signature du traité de paix dans la galerie des glaces du château de Versailles, 28 juin 1919. Painture de W. Orpen, 1919, Imperial War Museum London

Durant la période entre la Guerre franco-allemande et la Première Guerre Mondiale, les frontières de la Grande Région ne subirent aucun changement majeur.

Plusieurs traités bilatéraux furent néanmoins conclus, notamment entre la France et la Belgique ainsi qu’entre la Belgique et l’Allemagne.

La Première Guerre Mondiale éclata le 28 juillet 1914. Cette guerre fut lourde de conséquences pour l'Europe. Durant le déroulement de la guerre, les adversaires nourrissaient de vastes projets d'annexion.

A l’automne de l’année 1918, la résistance des puissances centrales s’effondra de manière définitive. La guerre se solda par de lourdes pertes humaines et matérielles dans les deux camps.

Le Ministre Président français Georges Clemenceau exigea de l’Allemagne le paiement de réparations suite aux dommages infligés pendant toute la durée de la guerre. Le Traité de Versailles imposa une très lourde charge à l'Allemagne.

La Lorraine avait déjà été restituée à la France aux termes du Traité d'armistice du 11 novembre 1918. Dans le cadre du Traité de Versailles, l’Allemagne dut par ailleurs renoncer à d’autres parties de son empire et céder un certain nombre de territoires à la Belgique.

Il s’agit des districts d’Eupen et de Malmédy ainsi que de la région du Moresnet. Le Territoire du Bassin de la Sarre fut également détaché de l’Allemagne et placé sous le contrôle de la Société des Nations pour une période de quinze ans.

Les profondes transformations subies par la Grande Région au lendemain de la Première Guerre Mondiale furent suivies par d'autres accords qui modifièrent une nouvelle fois les frontières établies par le Traité de Versailles.

Ces mesures concernaient le tracé de la frontière entre la France et l'Allemagne ainsi qu'entre la Belgique et l'Allemagne.

Enfin, d’autres accords portèrent sur la définition de la frontière entre le Territoire du Bassin de la Sarre et ses deux voisins, l'Allemagne et la France.

Des efforts étaient par ailleurs entrepris pour soutenir l’adhésion mutuelle à ces frontières. Notons à cet égard les accords de Locarno.

Après avoir été placé pendant quinze années sous mandat de la Société des Nations, le Territoire du Bassin de la Sarre fut rattaché à l’Allemagne conformément au vote majoritaire de la population consultée par plébiscite. 

 

Carte postale historique : Moresnet neutre (1905)

Quelques modifications territoriales survinrent au sein de l’Allemagne nationale-socialiste. La principauté oldenbourgeoise de Birkenfeld fut ainsi rattachée à la Prusse.

Le 1er septembre 1939, l’Allemagne nationale-socialiste attaqua la Pologne. Cette date marqua le déclenchement de la Seconde Guerre Mondiale. Le 10 mai 1940, l’Allemagne nationale-socialiste déclara la guerre aux Etats du Benelux et envahit la France.

Suite à la rapide défaite de la France, des administrations civiles furent installées au Luxembourg et dans la partie orientale de la Lorraine dans le but de rattacher durablement ces territoires à l’Allemagne. Outres Eupen et Malmédy, qui avaient anciennement appartenu à l’Empire allemand, la Belgique dut se séparer d'un certain nombre de territoires qui furent rattachés au "Troisième Reich".

 

Conférence de Potsdam 1945
Source : Dt. Bundesarchiv

Le 8 mai 1945, l’Allemagne nationale-socialiste capitula devant les Alliés. Dès septembre 1944, les administrations civiles établies au Luxembourg et en Lorraine prirent la fuite. Les districts d’Eupen et Malmédy furent également libérés par les Alliés à la même époque.

Après la défaite définitive de l’Allemagne, les Alliés occidentaux se précipitèrent sur les nouveaux territoires perdus par l’Allemagne. Toutefois, les "Trois Grands", c’est-à-dire les USA, la Grande-Bretagne et l’Union soviétique avaient des divergences d’opinion sur le partage des territoires.

Les USA et la Grande-Bretagne placèrent les petites zones situées aux frontières de l'Allemagne avec la Belgique, le Luxembourg et la France, sous l’administration provisoire des pays voisins. C’est ainsi que le Kammerwald revint à l’administration luxembourgeoise tandis que la France se vit confier l'administration d'une partie de la Forêt du Mundat.

 

Au lendemain de la guerre, l'Allemagne fut divisée en plusieurs zones d'occupation. L’établissement de ces zones et les décisions y afférentes conduisirent en 1945 à  la division de la province rhénane. En 1946, le Land de Rhénanie-Palatinat fut créé à partir de l'ancienne province rhénane attribuée à la zone d’occupation française.

Après la Seconde Guerre Mondiale, la question sarroise était au cœur des préoccupations. La France, qui souhaitait annexer le Territoire du Bassin de la Sarre, modifia à plusieurs reprises ses frontières à la fin des années 40.

Après la Deuxième Guerre Mondiale, il importait de définir les frontières et d’y adhérer de manière pacifique. Le 23 mai 1949 marqua la création de la République fédérale d’Allemagne. Toutes les questions traitant des frontières entre l’Allemagne et ses voisins occidentaux devaient désormais être réglées pacifiquement et avec l'accord de toutes les parties impliquées.

 

Dans ce contexte, la Belgique et l’Allemagne conclurent un accord pacifique sur le tracé de la frontière belgo-allemande : la Belgique rendit à l'Allemagne la plupart des territoires placés sous son contrôle. La frontière fut définitivement acceptée. L'Allemagne et le Luxembourg parvinrent également à trouver un consensus sur le tracé de leur frontière commune.

Le 1er janvier 1957, la Sarre finit par être intégrée à la République fédérale d’Allemagne.

L’Allemagne et la France se devaient de régler une dernière question concernant un territoire de la Grande Région, la Forêt du Mundat. Cette question clôtura définitivement les problèmes territoriaux découlant de la Seconde Guerre Mondiale et de ses conséquences.

Force est de souligner que les modifications de frontières survenues dans la Grande Région après la Seconde Guerre Mondiale s’inscrivaient dans le contexte de la construction européenne. L’Allemagne et ses voisins occidentaux, motivés par le souhait de coopérer, parvinrent à s’accorder sur le tracé des frontières.

 
Carte postale lors de l'incorporation de la Sarre dans la République fédérale d'Allemagne 1957
Source : bdph.de external link

Plan du changement des frontières entre la commune luxembourgeoise Sanem et la commune française Russange 2006
Source : Mémorial A n. 137, 11.8.2006, S. 2294

Au cours de la seconde moitié du 20e siècle et durant la première décennie du 21e siècle, la Grande Région connut de nouvelles modifications territoriales décidées à l’amiable. Citons dans ce contexte le déplacement de la frontière franco-luxembourgoise en 1965, de la frontière germano-belge en 1982 et, une nouvelle fois, de la frontière franco-luxembourgeoise en 1989.

Par ailleurs, la frontière franco-luxembourgeoise fit l’objet d’une nouvelle rectification en l’an 2000 ainsi que d’un échange de territoires en 2006.  

Dans l’atlas, les modifications de frontières survenues dans la Grande Région au cours de la période de l'analyse sont représentées sur neuf cartes différentes. Ces cartes sont organisées dans un ordre chronologique et classées en fonction des principaux événements.

Dans un souci de continuité, cette étude sera poursuivie dans le cadre d’éventuelles modifications territoriales futures de la Grande Région.

Vidéo


 

Littérature


Back, C. (inédit): Die Grenzänderungen in der Großregion vom Wiener Kongress bis heute (1815-2006)

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Sources