Bref rappel de l'histoire de l'abbaye
Les débuts de l'abbaye de Wissembourg, à savoir à quel moment et par qui sa fondation eut lieu, sont imprécis. Les listes des abbés mentionnent l’évêque Principius de Spire en tant que supérieur de l'abbaye pour l'année 634. La première mention documentée date de 661 seulement. Celle-ci désigne l'évêque Dragobodo de Spire (env. 661-670) en qualité de bâtisseur de l'abbaye dédiée à Saint-Pierre.

Les premières années après sa fondation sont marquées par le rattachement aux évêques de Spire et par les relations étroites avec les familles nobles lorraines. Ce n'est que vers 720 que les Etichonides, une famille ducale alsacienne, apparaissent en tant que promoteurs de l'abbaye. La promotion en abbaye royale vers le milieu du 8^e siècle, lorsque les abbés de Wissembourg étaient également évêques de Worms, montre la proximité avec les Carolingiens.

Le 9^e siècle représente l'apogée culturel de l'abbaye. Le Livre des Traditions comme le Livre des Évangiles d'Otfried de Wissembourg nous sont parvenus. L'abbaye connut un déclin à la fin du 10^e siècle avec ce que l'on appelle la spoliation d'église salique, à laquelle est liée l'aliénation des possessions de l'abbaye. L'abbaye a été dissoute au cours de la Révolution française.

Sources
Le Livre des Traditions de Wissembourg, rédigé entre 855 et 860 contient 275 diplômes en tout. Le diplôme le plus ancien est daté de l'année 661. Le gros des diplômes provient des 8^e et 9^e siècles, alors que quelques diplômes ont été inscrits à une date plus tardive. La préoccupation des abbayes vis-à-vis de leurs possessions conduisit à rédiger des copies des diplômes de leurs archives.

A Wissembourg, on suivait une tendance qui avait déjà commencé à Fulda, Frisingue ou même Ratisbonne. Le principe d'ordre du Codex est d'abord géographique et non chronologique. Les diplômes étaient réunis en groupes selon la provenance du bien, dans les pays d'Alsace et de Sarre. Dans cette organisation sont regroupées principalement les donations de familles influentes, comme les Etichonides. La division en familles de donateurs est interrompue par un principe chronologique.

Pour élaborer la carte, seuls 263 diplômes toutefois sont pertinents, étant donné que certains ont été inscrits en double dans le Livre des Traditions. L'évaluation des situations de propriété s'effectue exclusivement sur la base des lieux identifiables et donc intéressants pour la carte et des informations reportées dans les tableaux sur les propriétés en donation et en prêt. On tient compte du nombre des biens ainsi que du nombre de lieux dans lesquels ces biens se trouvaient. On ne tient pas compte de la taille, du type d'utilisation et de l'unité agronomique des biens.

Propriété foncière
Dotation de départ
Les débuts imprécis de l'abbaye ne permettent aucune déduction sur la dotation de départ, mais à l'aide des diplômes les plus anciens, on obtient un éclaircissement sur les situations de propriété de l'abbaye encore jeune. Comme Glöckner (1939) l'avait déjà constaté et Doll (1963) l'avait mis en évidence sur une carte, Wissembourg avait, jusque dans les années 730, principalement des possessions en Sarre et en Saulnois.

Cette situation s'inversa à partir de 730 et le point central des possessions de Wissembourg se déplaça dans le pays d'Alsace. On peut citer notamment Görsdorf, Lembach et Preuschdorf, à proximité directe de l'abbaye, ainsi que Dauendorf, avec respectivement plus de dix donations, concernant ces lieux.

Propriétés proches et éloignées
La totalité des possessions de l'abbaye Wissembourg s'étendait de l'Alsace jusque dans le pays de Worms sur un territoire étendu principalement sur la rive gauche du Rhin. En Sarre et en Saulnois, elle possédait des biens dans de nombreux villages. On différencie donc les propriétés proches des propriétés éloignées. On considère comme propriété éloignée tout ce qui ne pouvait pas être atteint en une journée, c'est-à-dire plus loin que 25-40 km. Pour différencier les propriétés proches de celles éloignées, on définit dans ce qui suit un rayon de 30 km. Les propriétés éloignées permettaient de couvrir des besoins spécifiques, par exemple le vin, l'huile ou le sel.

La période des premières années après la fondation jusqu'à environ 730 est appropriée, du fait de la répartition spatiale des possessions avec un point central en Sarre et en Saulnois, pour expliquer à titre d'exemple le rapport entre les deux formes juridiques et se poser des questions sur le déplacement spatial qui eut lieu ensuite. La totalité des possessions de Wissembourg en Sarre et en Saulnois figuraient dans 36 lieux en tout. Dans 22 lieux, l'abbaye avait déjà des possessions jusqu'en 730, dans 16 en pouvoir de disposition direct et dans douze en pouvoir de disposition indirect (avec un doublement dans six lieux).

En comparaison, il n'y avait pour la même période que sept lieux en-dehors de ce territoire dans lesquels des possessions ont été données. Dans le pays de Spire, ce sont : Billigheim et Eidesheim, dans le pays d'Alsace : Buchsweiler, Görsdorf, Hangenbieten, Minwersheim et Niederbetschdorf. Pour les donations avec réserve ne figure qu'une disposition pour cause de décès à Preuschdorf.

Les diplômes 197 et 199 fournissent un exemple documenté permettant de voir pendant combien de temps l'abbaye ne pouvait pas disposer des biens prêtés. De la donation exécutée dès le 3 février 718 (diplôme 227) par Chrodoin, étendue dix jours plus tard (diplôme 194=224), le donateur récupéra en mai 718 des possessions à Waldhambach, Tiefenbach et Kirchberg jusqu'à sa mort. 

70 ans plus tard, le 31 janvier 788 (diplôme 197), Rodoin et Gebahart, successeurs de Chrodoin, avouèrent avoir possédé les biens à tort. Ceux-ci leur furent accordés pour jouissance supplémentaire sous conditions. 19 ans plus tard à nouveau (diplôme 199), la précaire fut renouvelée et prolongée. Pendant plus de 90 ans, ces biens considérables furent retirés à l'abbaye. A cet effet, il est intéressant de voir que Rodoin et Gebahart donnèrent en contrepartie à l'abbaye une propriété à Godramstein, ce qui montre que les intérêts de l'abbaye depuis les années 720, éloignés de la Sarre et du Saulnois, s'étaient déplacés vers l'est.

Dans la période de 741-780, l'abbaye n'y obtint plus que quatre biens, deux donations à Görlingen et Kuttingen, et deux précaires à Bessingen et Burgaltdorf. Pour ce qui est des possessions dans les pays de Spire et de Worms, les années 770 sont particulièrement importantes. Les propriétés antérieures de Billigheim et Edesheim ont déjà été mentionnées. Dans la totalité des 23 lieux, l'abbaye obtint dans les années 770 des possessions dans 15 lieux, dans 14 lieux en disposition directe et dans onze autres avec réserve (doublement dans dix lieux).

Les 20 dernières années du 8^e siècle montrent clairement que l'intérêt pour la donation avec réserve reculait. Seuls 15 pourcents des propriétés transmises dans ces années n'étaient pas directement à disposition de l'abbaye. Ainsi, la part des biens en prêts perdit de son importance dans l'économie de l'abbaye.

Pour résumer, on peut dire que la répartition spatiale des biens de Wissembourg s'est modifiée au fil du temps. Alors que la période jusqu'à 730 env. est marquée par le fait que les propriétés, dans un rapport pondéré de biens prêtés et de biens en disposition directe, étaient présentes principalement en Sarre et en Saulnois, la part de biens prêtés sur la totalité des possessions recula avec le déplacement spatial en Alsace et dans les pays de Worms et de Spire.